Introduction - Texte 1

En janvier 2020, le critique musical Christophe Huss du journal Le Devoir (Montréal) conclut un article à propos de cette « réalisation profondément géniale » qu’est la nouvelle itération de l’opéra Wozzeck en s’exclamant : « Courez voir ce chef-d’œuvre lors des reprises »[1].

On peut se demander vers quel type de « réalisation » il faudrait au juste se précipiter ainsi. S’agit-il de l’opéra d’Alban Berg lui-même? Ou bien de la mise en scène effectuée dudit opus par l’artiste sud-africain William Kentridge, sur les planches mêmes du Metropolitan Opera de New York? Ou encore, de la captation de cet opéra (dans sa mouture du 11 janvier 2020), telle qu’elle fut projetée, en direct, dans les salles de cinéma du monde entier, et qui fut exécutée sous la conduite de l’un des réalisateurs attitrés de la maison, Gary Halvorson, qui se serait, selon le même Huss, « montré digne d’immortaliser ce spectacle, avec — de très loin — sa meilleure réalisation au Met »?[2]

À la lecture du texte, on comprend que ce qui fait l’objet d’une évaluation critique de la part de Huss, c’est le « spectacle de [William] Kentridge » lui-même, soit l’opéra de Berg tel que mis en scène par l’artiste sud-africain sur la mythique scène sise au Lincoln Center. Huss n’a pas assisté à cette représentation. Il était plutôt à Montréal, confortablement installé dans une salle de cinéma de la chaîne Cineplex qui diffusait, dans le cadre de la série The Met: Live in HD, la retransmission du spectacle filmé à New York. L’opéra est certes retransmis « en direct », mais il n’en demeure pas moins que c’est d’une façon tout « indirecte » que le critique montréalais entre ainsi en contact avec le « chef-d’œuvre [de Kentridge] » (qu’il nous presse de « voir » à notre tour par le truchement de la captation d’Halvorson à l’occasion de l’une ou l’autre des « reprises les 7, 9, 11 et 15 mars selon les cinémas »). Il faut en déduire que, de manière implicite, Huss nous prescrit donc de ne pas trop porter attention au travail de transposition que la mise en images d’Halvorson opère par son exercice de captation multicaméra. En effet, le critique dirige résolument notre regard par-delà la retransmission de l’opéra sur grand écran, pour que nous mettions au premier rang de nos préoccupations de spectateur la vision de ce « chef-d’œuvre » que représente cette mise en scène précise de Wozzeck.

Les transmissions en direct de diverses œuvres de la scène (opéra, théâtre, ballet, etc.), qui sont devenues monnaie courante depuis que la transition numérique a rendu la chose possible, offrent tous le même genre de piège, où la confusion ne cède en rien à l’amalgame.

Il semblerait en effet y avoir amalgame entre la prestation originelle, qui se déroule sur scène, et sa captation projetée sur grand écran, ce qui peut donner lieu à une confusion entre deux spectacles de nature pourtant bien différente. Faute d’assister au spectacle vivant exécuté in situ, le spectateur est plutôt mis en sa présence par le truchement d’un important appareillage de captation et de transmission numérique. Il assiste ainsi à la diffusion de ce nouveau type de prestation en salle de cinéma que l’on appelle le « hors-film » et qui ne relève pas du « cinématographique ».

Dans un développement en six parties, ce parcours tente de répondre à quelques-unes des questions que soulève ce nouveau phénomène qu’est le hors-film, qui est venu brouiller les contours de la programmation standard du cinéma. De quelle nature sont ces « retransmissions » d’opéra : simple « spectacle calmement documenté[3] » ou, comme l’a qualifié The Los Angeles Times, « a new art form[4] »? Comment définir et nommer ce type de programmation, qui investit les salles de cinéma depuis la première saison du Met: Live in HD en 2006? Peut-on voir dans cette « nouvelle » polyvalence programmatique de la salle de cinéma un retour vers les expériences de « télévision projetée » dans l’immédiat après-guerre? Quelles sont les conditions techniques qui rendent possible pareille captation multicaméra et sa retransmission via satellites autour de la planète? Comment la réalisation compose-t-elle avec les impératifs que suppose la retransmission en toute transparence d’un « chef-d’œuvre » opératique tout en s’acquittant avec talent de sa captation multicaméra en direct?

Ce parcours s’intéresse d’abord aux origines du hors-film, dès les premiers essais de projection d’images en direct en salle de cinéma. Il dresse aussi un portrait des processus de production, des techniques et des métiers nécessaires à la retransmission d’événements hors film, en s’appuyant en particulier sur le cas du Metropolitan Opera de New York. Finalement, ce parcours propose un regard critique sur le phénomène en s’appuyant sur l’analyse d’une littérature critique et théorique encore lacunaire.

Type de document (média)

Texte nativement numérique

Créateur

Demay, Marie-Odile

Éditeur

TECHNÈS

Date de diffusion

2022

Langue

fr

Format

text/html

Droits

© TECHNÈS, 2022. Certains droits réservés.

Licence

Identifiant

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Date de modification de la fiche

2022-06-25

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