Le multi-écran - Texte 4

La chambre II ou « labyrinthe », du fait de son aspect bien davantage sensationnel et haptique, devait se faire ressentir comme Montréal par une chaude journée d’été. Cette chambre était composée de trois prismes dans une pièce octogonale tapissée de miroirs sur tous les murs, le sol et le plafond. Les prismes étaient en verre partiellement teintés, ce qui, lorsque les lumières étaient allumées sur les visiteurs, provoquait la réflexion du public sur lui-même; à l’inverse, lorsque les lumières visaient les trois prismes, cela composait un cosmos, dans lequel une infinité de lumières stellaires s’éparpillaient. L’installation était destinée à désorienter les spectateurs, à établir un lien synesthésique par la déambulation et à dissoudre les frontières identitaires, entre humains et non-humains, créant un espace sans fin, acoustique et décentré. Le labyrinthe, passage de verre serti de miroirs, présentait en plus de cela une bande sonore électronique qui déclenchait une multiplicité de lumières clignotantes — elles-mêmes réfléchies et transmises par le verre. Lorsqu’elle était brièvement éclairée, l’image réfléchie d’un voyant était dispersée dans une infinité d’espaces par les miroirs, élaborant une mise en abyme visuelle, une récursivité des images. C’est en parcourant un couloir et en ayant renoncé aux raisons de se déplacer et d’agir de façon typique que les spectateurs entraient dans la phase finale de leur voyage, après avoir laissé dans les deux chambres précédentes leurs assurances, leurs croyances et leurs certitudes.

La troisième et dernière chambre ressemblait à un cinéma standard, avec des sièges conventionnels. Cependant, les images étaient projetées sur cinq écrans disposés de façon cruciforme, suspendus, créant un point culminant visuel époustouflant avec des projections en 35 mm. Le film présentait des images d’une demi-douzaine de pays et s’intéressait aux rituels culturels et aux gestes du quotidien à travers le monde : une chasse au crocodile dans le sud de l’Éthiopie, un baptême en Grèce, un accouchement à Montréal, une leçon de ballet en Russie, les rues de Montréal lors d’une tempête de neige, un agent de la circulation, des navetteurs, des paysages. La bande sonore comprenait des extraits de voix hors champ, des captations sonores des lieux et une partition composée par Eldon Rathburn. Par ailleurs, le monteur Tom Daly avait conçu un système de montage spécial qui juxtaposait de longues séquences qui se fondaient et se succédaient afin de ne pas « sursaturer » le public avec trop d’informations visuelles. L’influence de la télévision et des images électroniques sur les réalisateurs de l’œuvre est manifeste, mais permet nettement l’ouverture d’un nouvel environnement inhérent au projet du Labyrinthe, qui évoque la télévision tout en lui échappant. Il s’agit d’un cinéma libéré non seulement de l’écran unique, mais aussi des contraintes liées aux formes traditionnelles narratives, d’histoire et d’intrigue. Cette ultime chambre transcende les anciens langages visuels par l’usage du multi-écran tout comme la télévision a transformé la terre en programme.

Type de document (média)

Texte nativement numérique

Créateur

Blake, Matthieu

Éditeur

TECHNÈS

Date de diffusion

2022

Langue

fr

Format

text/html

Droits

© TECHNÈS, 2022. Certains droits réservés.

Licence

Identifiant

ark:/17444/96788z/4983

Date de modification de la fiche

2022-11-21

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